Alors que les opérateurs mobiles proposent les premiers abonnements 5G au grand public, cette nouvelle norme pour les télécommunications suscite des doutes et des résistances. Le chercheur senior au CNRS Philippe Owezarski présente les enjeux.
Philippe Owezarski, vous êtes directeur du département Systèmes et réseaux de confiance (RISC) au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS (LAAS). Pouvez-vous expliquer ce qui motive la transition vers la 5G?
Philippe Owezarski: Les besoins croissants de bande passante des réseaux cellulaires – et donc de débit – sont la première raison du changement de génération de la 4G à la 5G. Les utilisateurs, de plus en plus accro au streaming sur les appareils mobiles, souhaitent regarder des vidéos en 4K sur leurs smartphones, même si cela est d’un intérêt discutable compte tenu de la taille de l’écran. Cette demande soutenue et la saturation de la 4G alimentent le développement de nouveaux services, notamment pour les professionnels.
Quels sont les principaux changements?
P. O: À mon avis, la 5G offre deux choses qui manquent à la 4G: des classes de service différenciées et une softwarisation. Trois classes de services seront bientôt disponibles, avec des caractéristiques spécifiquement adaptées aux besoins et aux applications des utilisateurs.
Pour commencer, eMBB est un service standard par rapport aux réseaux cellulaires actuels, mais avec une augmentation significative du débit. URLLC, d’autre part, cible les applications qui ont des contraintes temporelles. Il a une latence beaucoup plus faible et donc une plus grande réactivité. Enfin, avec mMTC, la 5G peut standardiser les communications pour l’Internet des objets, dans lequel de nombreux protocoles coexistent aujourd’hui. Ces trois classes de service sont livrées avec le type d’architecture de réseau connu sous le nom de découpage de réseau, qui peut couper la matrice de communication des ressources temps-fréquence en différentes tranches – chacune d’entre elles fournira aux utilisateurs la qualité de service souhaitée – et les isolera les unes des autres. afin d’éviter les perturbations.
En même temps, la softwarisation rendra les réseaux programmables, sans intervention requise sur leur infrastructure physique. Ils deviendront donc plus flexibles à gérer et intégreront plus facilement de nouveaux services. Par exemple, si la demande des utilisateurs change, il sera plus simple d’adapter le débit ou d’offrir des services spécifiques sans modifier physiquement le matériel du réseau, comme les instruments qui contrôlent les antennes. Cette notion de réseau défini par logiciel est à la mode; des briques ont été progressivement ajoutées à la 4G, mais ce principe sera natif de la 5G.
De plus, les nouvelles antennes MIMO pour 5G peuvent adapter leur spectre de propagation à une zone ou un terminal spécifique, sans impact sur les zones environnantes. Tout cela est rendu possible par un équipement entièrement et dynamiquement programmable. L’intelligence artificielle (IA) pourrait même être utilisée pour optimiser les communications.
Quels services spécifiques intéressent les professionnels et les chercheurs?
P. O: Certains traitent des données vidéo très haute définition nécessitant un débit extrêmement élevé, comme le CNES, qui utilise les réseaux mobiles satellitaires et cellulaires pour transmettre des images de télédétection. Les services à faible latence sur les réseaux cellulaires pourraient également contrôler à distance des usines et divers processus industriels, avec des temps de réaction très courts.
Dans le même ordre d’idées, je pense que l’une des applications centrales concernera des véhicules autonomes ou connectés. Leur intelligence artificielle embarquée a montré ses limites, car elle n’est pas suffisamment efficace ou rapide dans la prise de décision. Pourtant, chaque dixième de seconde compte lorsqu’il s’agit de freiner pour éviter un piéton. La centralisation de l’IA sur des serveurs, ou un cloud, facilitera l’intégration des conditions générales de conduite, telles que l’état du trafic et de la signalisation routière, et offrira également de meilleurs calculs, car ils seront effectués par des machines plus puissantes que l’électronique en une voiture. Cela améliorera considérablement le fonctionnement des véhicules connectés, même si ces instructions doivent également être transmises avec un débit et une réactivité que seule la 5G peut offrir à ce stade. Ce principe ne relève pas de la science-fiction et des expériences locales seront menées prochainement. Les services à faible latence sont également intéressants pour la chirurgie à distance. Les spécialistes opérant à distance doivent avoir le même rendu visuel pour leurs gestes que lorsqu’ils sont physiquement présents avec le patient.
Quelles contributions la 5G a-t-elle apportées à la recherche en télécommunications?
P. O: Le découpage du réseau permettra de réserver des tranches du réseau cellulaire 5G pour mener des essais dans un environnement réel. Comme ces tranches sont isolées les unes des autres, des expériences seront réalisables sur une tranche, sans prendre le risque qu’un problème puisse affecter le reste du réseau. Mais nous n’en sommes pas encore tout à fait là, car le découpage n’est pas disponible sur tous les réseaux commerciaux 5G actuels. Nous devons encore utiliser des plates-formes expérimentales, comme des chambres anéchoïques, qui ne sont pas perturbées par des ondes externes, et nous empêchent d’interférer avec le fonctionnement opérationnel des réseaux 5G.
Où en est le déploiement de la 5G aujourd’hui?
P. O: Techniquement parlant, nous sommes en train de passer à la 5G, mais en termes de service, nous avons principalement accès à une sorte de 4G haut débit. Les réseaux 5G déployés aujourd’hui utilisent des bandes de fréquences dédiées à la 5G, mais les mécanismes d’allocation des ressources Hertz ne sont pas encore optimisés pour s’appuyer efficacement sur l’ensemble du spectre disponible. Il est important de noter que la différence entre les générations 3G, 4G et 5G réside dans les bandes de fréquences et les techniques d’accès aux médias qu’elles utilisent. Le côté logiciel et service ne changera pas drastiquement entre la 4G et la 5G actuellement installée, mais cela évoluera très rapidement, notamment avec les contributions à venir des chercheurs. Le processus de normalisation de la 5G devrait normalement être achevé en 2023.
Que savons-nous des risques sanitaires et environnementaux de la 5G?
P. O: En termes d’énergie, le déploiement du réseau consommera bien sûr de l’électricité, mais je pense qu’il sera comparable à celui utilisé par la 4G. La disparition de la 2G et de ses antennes, en revanche, devrait permettre des économies d’énergie. Je ne vois pas comment ce serait une révolution; nous consommons de plus en plus d’électricité en général, et au pire resterons sur la courbe normale pour cette augmentation.
En outre, la 5G aidera à réduire la quantité d’ondes électromagnétiques émises. Ses antennes massives cibleront les endroits où la demande est élevée, plutôt que de couvrir de vastes zones sans discernement. Pourtant, comme l’augmentation du débit nécessitera plus de puissance, il est encore difficile de fournir une évaluation précise.
En matière de santé, nous avons déjà eu ces débats lors du lancement des générations précédentes. Les réseaux cellulaires fonctionnent depuis une trentaine d’années, et aujourd’hui tout le monde utilise un téléphone mobile sans y réfléchir. Nous n’avons pas constaté d’augmentation de l’incidence du cancer du cerveau, l’une des maladies qui auraient pu être causées par ces réseaux. Et bien que la prévalence des maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer soit plus élevée, ce phénomène est plutôt attribué à une espérance de vie plus longue.
Je tiens néanmoins à souligner que je ne suis pas spécialiste de ces questions de santé, sur lesquelles je ne travaille pas. Je ne cite que les résultats des études que j’ai lues. Pourtant, il existe une sorte de moratoire de facto sur la 5G en France, le gouvernement commandant des études pour mieux appréhender son impact sur la santé et la consommation d’énergie.
Que réservent les télécommunications?
P. O: On commence déjà à parler de 6G, qui fonctionne sur des fréquences millimétriques et offre un débit encore plus grand. Pour l’instant je préfère parler de «5G et après», car on ne sait pas encore ce que la prochaine génération offrira.