Hier (31 janvier), une deuxième « journée d’action » a vu des foules immenses descendre dans les rues de France pour s’opposer aux attaques prévues par Macron contre les retraites. La confédération syndicale CGT a estimé le chiffre de participation à 2,8 millions, ce qui, s’il est exact, serait la plus grande manifestation unique depuis 2010.
En plus de la forte participation des enseignants, des travailleurs des raffineries de pétrole, des travailleurs des transports, etc., des multitudes de jeunes, et surtout des écoliers, étaient dans la rue pour s’opposer à ce que leur avenir soit sacrifié sur l’autel du profit. La colère des masses est palpable. Mais où allons-nous d’ici?
Nous reproduisons la dernière éditorial de Révolution (le journal français de l’IMT), paru à la veille de la journée nationale d’action. Les camarades expliquent que, quelle que soit son ampleur, aucune journée d’action, à elle seule, ne peut faire reculer les attaques du gouvernement. Ce qu’il faut, c’est un programme d’escalade pour une action de grève illimitée !
Macron et ses ministres ont compris qu’ils pourraient être amenés à modifier leur projet de loi sur les retraites. Ils pourraient, par exemple, changer la clause actuelle qui pénalise deux fois les femmes retraitées. D’autres « ajustements » pourraient être avancés dans l’espoir d’affaiblir le mouvement d’opposition. Mais les grandes entreprises et le gouvernement à son service restent déterminés à préserver l’essentiel du projet de loi : l’augmentation de la durée de cotisation, le report de l’âge de la retraite et la fin des régimes spéciaux pour certains travailleurs.
Du point de vue de la bourgeoisie, cette contre-réforme est un défi majeur : d’une part, elle entraînera d’importantes économies budgétaires (sur le dos des travailleurs) ; d’autre part, il favorisera le développement du marché de la retraite privée, qui est une opportunité de profit potentiellement colossale.
De son côté, Macron sait que, s’il perd cette bataille, il en sortira tellement affaibli qu’il devra dissoudre l’Assemblée nationale, sans la moindre garantie de retrouver une nouvelle majorité aux urnes. Cela renforce la détermination du président et de ses ministres.
Grèves illimitées
Le 19 janvier a confirmé ce que les sondages indiquaient déjà : l’écrasante majorité de la population active est opposée à cette nouvelle contre-réforme. Mais force est de constater que cette puissante mobilisation a aussi été alimentée par d’autres facteurs : l’inflation, la dégradation des conditions de travail, la précarité de l’emploi, la destruction de la santé publique – et bien d’autres problèmes que la crise du capitalisme ne cesse d’aggraver. Le pays est en proie à une colère profonde et grandissante. Les stratèges les plus sages de la bourgeoisie le comprennent. Ils savent qu’une fois ouvertes les vannes de la colère sociale, le torrent peut s’échapper des voies sûres, dépasser le cadre des « journées d’action », et prendre la forme d’un vaste mouvement de grèves, se propageant de secteur en secteur jusqu’à ce qu’il y ait un paralysie totale du pays.
Le gouvernement ne reculera que si le mouvement s’engage fermement dans cette direction. N’oublions pas que si Jacques Chirac a renoncé à son contrat de première embauche (CPE) en 2006, ce n’est pas sous la pression d’une seule journée d’action. La lutte contre le CPE échappe au contrôle des dirigeants syndicaux. La jeunesse lycéenne et universitaire a été massivement mobilisée, jour et nuit ; ils envahirent les gares, provoquèrent des débrayages dans les services publics et gagnèrent la sympathie de toute la classe ouvrière. Des grèves éclatent spontanément dans tout le pays, y compris dans des entreprises réputées « pacifiques ». A un certain moment, Chirac – qui a vécu Mai 68 de première main – a senti que l’entêtement de son gouvernement risquait de provoquer un bouleversement social généralisé.
Les conditions de notre victoire sont donc bien claires. Tout doit être fait pour impliquer le plus de secteurs possible dans un mouvement de grèves illimitées. Naturellement, il ne faut pas compter sur Laurent Berger (dirigeant de la CFDT) pour avancer d’un millimètre dans ce sens. Et malheureusement, Philippe Martinez (leader de la CGT) n’est guère plus militant : il concentre tous les espoirs sur la stratégie des journées d’action, malgré leur insuffisance notoire depuis 20 ans. Cela dit, plusieurs fédérations de la CGT – dont celles des industries de l’énergie et de la chimie – ont mis en place un « calendrier » pour une escalade vers des grèves illimitées. Les cheminots ont également annoncé des mobilisations, complémentaires aux journées d’action. Une chose est certaine : soit ces initiatives prennent forme et s’étendent à d’autres secteurs, soit le gouvernement gagnera cette bataille.
Pourrait-il y avoir une troisième voie, sous la forme d’une concession de l’Etat à la CFDT ? Laurent Berger est contre le recul de l’âge de la retraite, mais très favorable à l’allongement de la durée de cotisation et à la destruction des régimes spéciaux. Il s’oppose au cyanure mais nous offre un verre d’arsenic. C’est la formulation de cet agent conscient de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. Il ne peut être totalement exclu qu’à un moment donné, si le mouvement d’opposition se développe, Macron renoncera à relever l’âge de la retraite et conservera tout le reste dans le projet de loi. Mais c’est loin d’être une fatalité, car une telle concession serait une arme à double tranchant : elle pourrait encourager le mouvement au lieu de le diviser. De plus, le gouvernement en sortirait affaibli. Macron n’a donc pas d’intérêt immédiat à un tel compromis.
Passez à l’offensive !
Nous l’avons déjà dit : la mobilisation se nourrit d’une colère généralisée. C’est précisément pour cette raison que le mouvement ne doit pas se contenter d’exiger l’abandon du projet de réforme. Il doit avoir un programme positif et offensif. Dans l’éditorial du précédent numéro de Révolutionnous avons expliqué comme suit :
« Dans un contexte où les coups pleuvent de toutes parts (inflation, croissance de la pauvreté et de la précarité, éclatement des services publics, etc.), les jeunes et la population active n’agiront de manière exceptionnellement massive et durable que si l’objectif de la La lutte est bien plus large que l’abandon de ce projet de réforme – dont nous savons bien que, s’il était chassé, il reviendrait par la fenêtre quelques années plus tard, si rien d’autre ne changeait. Les objectifs du combat doivent être à la hauteur des sacrifices qu’il demande.
Bien entendu, il n’est pas exclu qu’un vaste mouvement de grèves illimitées puisse s’engager sur la base du seul mot d’ordre d’abandon du projet de réforme. Mais un programme plus militant faciliterait l’implication de larges couches de jeunes et de travailleurs.
Prenons par exemple la situation des jeunes. Ils savent très bien que leur droit à la retraite, dans trois ou quatre décennies, ne sera pas lié au sort du projet de réforme en cours. Il sait plus ou moins que son avenir, à tous les niveaux, est menacé par la crise du capitalisme et les politiques réactionnaires des gouvernements. Certes, on ne peut exclure que la jeunesse se mobilise massivement contre le projet de réforme en cours, ne serait-ce que dans le but d’infliger une défaite à Macron.
Mais la mobilisation des jeunes serait grandement facilitée si la direction du mouvement appelait à des mesures qui concernent directement leurs conditions de vie actuelles, par exemple : la gratuité de l’enseignement supérieur, et la suppression de l’attribution inéquitable des places universitaires.
Un programme militant, largement diffusé et bien construit, devrait inclure le droit à la retraite à 60 ans (maximum), une augmentation générale des salaires en ligne avec l’inflation, l’embauche massive de fonctionnaires, l’abrogation des deux dernières lois du travail – et d’autres mesures similaires. Celle-ci devrait être couronnée par le slogan qui, il y a quatre ans, résonnait chaque week-end dans les villes du pays : « Macron, dehors ! »
Au moment d’écrire ces lignes, les dirigeants du mouvement ne s’engagent pas dans cette voie. Ils se limitent à des journées d’action et à un programme défensif. De son côté, Jean-Luc Mélenchon de France Insoumise réduit les objectifs au plus petit dénominateur commun : « Nous sommes à une époque où l’offensive doit fédérer et contourner nos sujets de discorde. C’est la raison pour laquelle nous acceptons le retrait de notre programme ».
Nous avons essayé de démontrer qu’il s’agit là d’une grave erreur stratégique. Cependant, rien n’est décidé. Dans les jours et les semaines à venir, le torrent peut monter – et emporter tout sur son passage, malgré les erreurs et le conservatisme des dirigeants du mouvement.