Une lutte mondiale est menée sur des technologies telles que la 5G. La Chine, l’Union européenne et les États-Unis sont en concurrence pour créer un processus politique visant à valoriser les brevets sous-jacents.
Ces efforts sont malavisés. Le Congrès devrait plutôt soutenir la tarification des droits de licence basée sur le marché.
Les appareils tels que les smartphones doivent se conformer à de nombreuses normes. Dans le cas de la 5G, par exemple, on estime 100 000 brevets « essentiels ». Celles-ci sont connues sous le nom de brevets essentiels standard. Étant donné que les fabricants d’appareils ne peuvent pas fabriquer de téléphones 5G sans utiliser ces brevets, les brevets essentiels standard sont concédés sous licence sur la base de ce qu’on appelle « juste, raisonnable et non discriminatoire” (FRAND) redevances. La détermination de ces taux FRAND est la principale source de conflit dans la lutte technologique Chine-UE-États-Unis.
À partir de 2020, la Chine a systématisé une approche provocatrice des brevets essentiels standard. Tandis que les tribunaux chinois traitaient les affaires de contrefaçon, ils empêchaient les titulaires de brevets de faire simultanément valoir leurs droits devant les tribunaux étrangers, délivrant injonctions anti-poursuites. La Chine soutient également ses injonctions anti-poursuites en infligeant des amendes aux titulaires de brevets 156 845 $ par jour s’ils ne se conforment pas. Les tribunaux chinois ont tendance à statuer sur des taux FRAND inférieurs au marché, de sorte que les injonctions anti-poursuites ont pour effet de faire des brevets essentiels standard sous-évalués un point focal mondial pour tribunaux étrangers à suivre.
L’UE ne l’avait pas et a déposé un différend contre la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Bruxelles affirme que les injonctions anti-poursuites constituent une « politique » qui viole les dispositions de l’OMC Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commercenotamment en empêchant les titulaires de brevets de faire valoir leurs droits devant un tribunal non chinois.
Dans arguments d’ouverture devant l’OMC, l’UE a expliqué que les titulaires de brevets ont le droit de conclure des contrats de licence aux conditions FRAND, sans « mesures qui restreignent ou cherchent à restreindre l’exercice de ce droit ». Cet argument est juste mais teinté d’ironie, puisque l’UE est en train de faire encore plus que la Chine pour porter atteinte à ces droits.
En effet, parallèlement à son procès à l’OMC contre la Chine, l’UE met en place un régime standard de brevets essentiels qui est scandaleusement politique. Le plan, énoncé dans un nouveau règlement, est que l’Office de la propriété intellectuelle de l’UE réglemente la plupart des aspects des brevets essentiels standard. Malgré son manque d’expertise en matière de brevets, l’EUIPO délivrera sans engagement valorisations des taux FRAND, et déterminer « l’essentialité » de chaque brevet essentiel standard. Il maintiendra également un registre, la clé étant que seuls les brevets essentiels aux normes enregistrés seront exécutoires en Europe.
Pourquoi l’UE fait-elle cela ? Bruxelles insiste que ce nouveau régime aidera les petites et moyennes entreprises à naviguer plus facilement dans la complexité des taux FRAND et à éviter de s’empêtrer dans des litiges coûteux. Ça n’a pas de sens. Parmi les six fabricants d’appareils — Huawei et trois autres sociétés chinoises, ainsi qu’Apple et Samsung — aucune n’est une petite ou moyenne entreprise et toutes sont assez expérimentées dans la négociation de licences.
La véritable motivation de l’UE est la même que celle de la Chine : baisser les taux FRAND pour les utilisateurs finaux. La propre Commission européenne étude d’impactpar exemple, vante les avantages d’un FRAND inférieur pour les constructeurs automobiles et les producteurs de l’Internet des objets, qui ont le dessus politique sur les innovateurs.
Pour ne pas rester sur la touche, le Congrès a réfléchi à un projet de loi intitulé Loi sur les redevances essentielles standardqui partage plusieurs Choses en commun avec le régime européen. Il propose un nouveau tribunal fédéral pour décider des taux FRAND en cas d’incohérences entre les décisions nationales ou lorsque des tribunaux étrangers rendent des verdicts qui désavantagent les titulaires de brevets américains. Le projet de loi est clairement rédigé en gardant à l’esprit les régimes de brevets essentiels standard de la Chine et de l’Europe.
L’acte aiderait-il ou blesserait-il ? Son accent sur la réaffirmation de la souveraineté américaine exploite l’humeur anti-chinoise du Congrès. Mais en vérité, cela fait le jeu de la Chine (et de l’UE), le message étant que plus de bureaucratie est la réponse à un problème qui n’existe pas.
Ni la Chine ni l’UE n’offrent la moindre preuve que les taux FRAND sont en quelque sorte supérieurs au marché. Les injonctions anti-poursuites de la Chine jouent bien pour Huawei et les trois autres fabricants d’appareils du pays. Quant à l’UE, la propre Commission européenne étude d’impact ne montre jamais une seule fois que les taux FRAND sont erronés. De même, un groupe d’anciens responsables du gouvernement américain a fait une évaluation du régime standard des brevets essentiels de l’UE, et n’ont pas pu mettre le doigt sur le problème que Bruxelles pense résoudre. À moins que les partisans de la loi sur les redevances essentielles standard ne puissent combler les blancs, le Congrès ne devrait pas créer un nouveau tribunal qui ne ferait qu’affirmer les efforts de la Chine et de l’UE pour promouvoir les licences non marchandes des brevets essentiels standard.
Cela ne veut pas dire que Washington ne devrait rien faire. Les Etats Unis a réservé les droits de tiers dans l’affaire de l’UE contre la Chine à l’OMC, et exprimera, espérons-le, son soutien à l’innovation. Si l’OMC décide pour l’UE, Pékin devra modifier son régime standard de brevets essentiels à l’avenir ou se retrouver la cible d’injonctions anti-poursuites émises par des tribunaux du monde entier.
Les États-Unis pourraient également déposer une plainte auprès de l’OMC contre l’UE. Ce serait probablement une victoire, car le nouveau règlement de l’UE limite clairement l’application des brevets essentiels standard en Europe. Même si Bruxelles choisissait de ne pas s’y conformer, elle ferait face à un contrecoup politique intérieur, car il existe déjà une confusion sur quelle direction générale est aux commandes et forte européenne opposition à ce nouveau régime standard des brevets essentiels.
Plus fondamentalement, les États-Unis doivent insister sur une tarification basée sur le marché des brevets essentiels standard pour encourager l’innovation. Tout le reste serait un cadeau pour Huawei et un revers substantiel pour l’avenir de la 6G.
Marc L. Busch est titulaire de la chaire Karl F. Landegger de diplomatie commerciale internationale à la Walsh School of Foreign Service de l’Université de Georgetown et membre mondial du Wahba Institute for Strategic Competition du Wilson Center. Suivez-le sur Twitter @marclbusch.
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