Un groupe de grands éditeurs canadiens demande au gouvernement fédéral de permettre aux médias du pays de négocier collectivement avec Google et Facebook lorsqu’ils négocient l’utilisation de leur contenu et de leur propriété intellectuelle.
News Media Canada – qui représente les éditeurs de journaux, y compris le Globe and Mail, National Post éditeur Postmedia, Toronto Star éditeur Torstar, La Presse et Quebecor – affirme que les deux géants du Web ont établi un duopole efficace sur le marché de la publicité numérique qui prive l’industrie des médias du Canada de revenus.
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Le rapport, publié jeudi, demande à Ottawa d’envisager de nouvelles réglementations qui élargiraient les droits de propriété intellectuelle que les éditeurs peuvent exercer sur le contenu et leur permettraient de se regrouper dans une unité de négociation collective sanctionnée par le gouvernement.
«Ce n’est que par cette approche collective que l’immense pouvoir de monopole des géants du Web peut être contré et les règles du jeu numériques nivelées», a déclaré l’organisation dans un communiqué de presse.
Selon le rapport, Google et Facebook contrôlent entre 60 et 90% du marché de la publicité numérique, qui est devenu une source de revenus de plus en plus vitale pour le secteur de l’édition.
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Les deux sociétés de la Silicon Valley sont en mesure de «dicter des clauses abusives aux éditeurs sur l’utilisation de leur contenu, y compris des résultats anticoncurrentiels et d’accéder au contenu, à l’audience et aux données des éditeurs sans transparence ni compensation», déclare News Media Canada.
Le gouvernement fédéral, selon le rapport, doit intervenir pour rétablir un certain équilibre des pouvoirs et aider l’industrie de l’édition à négocier un meilleur accord avec les plateformes Web dominantes.
Google et Facebook ont rejeté avec force les allégations du rapport.
«Le rapport de News Media Canada déforme l’impact d’Internet sur la publication des nouvelles et ne tient pas compte de ceux qui n’ont pas réussi à transformer leur entreprise dans le monde numérique», a déclaré Google à Global News par courriel.
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Le rapport omet de mentionner la contribution significative de Google aux éditeurs, a déclaré le géant des moteurs de recherche. «Nous envoyons cinq milliards de visites à des éditeurs canadiens chaque année», dit-il.
La société a également déclaré que le contenu de nouvelles ne représentait que 15% du total des recherches au Canada en 2019.
«Ce rapport déforme le fonctionnement de certains de nos produits. Les organisations de presse au Canada choisissent de publier leur contenu sur Facebook pour atteindre les abonnés potentiels, monétiser leur contenu et vendre plus de publicité », a déclaré un porte-parole de la société Facebook par courriel.
«Il existe de nombreuses façons d’aborder ces problèmes complexes et nous voulons travailler avec les éditeurs de nouvelles et le gouvernement sur une solution», a également déclaré Facebook.
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Le rapport de News Media Canada arrive à un moment critique pour le secteur de l’édition, qui a déjà vu les revenus publicitaires diminuer considérablement au milieu de la pandémie COVID-19.
La glissade publicitaire s’est produite alors même que de nombreux médias traditionnels ont vu des niveaux records de trafic Web au début de l’urgence sanitaire.
«Nous avons eu trois ou quatre ans de refus en trois mois», déclare Jamie Irving, vice-président de Brunswick News Publishing et président du groupe de travail de Médias d’information Canada.
Il n’y a pas que les journaux en difficulté.
Jusqu’à 40 chaînes de télévision locales et 200 stations de radio canadiennes pourraient être contraintes de fermer au cours des trois prochaines années en raison de l’augmentation des pressions financières liées à la pandémie, selon une étude récente du Association canadienne des radiodiffuseurs.
Les diffuseurs de télévision et de radio font face à un déficit de revenus cumulé prévu pouvant atteindre 1,06 milliard de dollars d’ici la fin de 2022.
Le gouvernement Trudeau a promis un fonds de sauvetage des médias de 595 millions de dollars dans le budget de 2018, qui s’engageait à déployer des crédits d’impôt pour les médias canadiens qualifiés afin d’embaucher des travailleurs et pour les Canadiens qui achètent des abonnements au journalisme, et a permis à certains journaux qualifiés de s’inscrire comme organisations caritatives.
Mais le plan a rapidement fait l’objet de vives critiques, y compris de la part de nombreux journalistes canadiens, pour ne rien faire pour résoudre les problèmes sous-jacents qui affligent l’industrie – à savoir, l’accaparement des revenus publicitaires par des géants du Web comme Facebook et Google.
Au lieu de cela, Médias d’information Canada recommande une solution qui, selon lui, serait gratuite pour les contribuables canadiens.
Le rapport cite l’exemple de l’Australie, qui a commencé à mettre en œuvre un système qui obligerait les plates-formes Web telles que Google et Facebook à concéder sous licence le contenu des éditeurs avant de l’utiliser et à négocier le prix de ces licences avec les éditeurs agissant en tant qu’unité de négociation collective unique.
Le nouveau régime empêcherait également les plateformes numériques de se venger des éditeurs, par exemple en bloquant leur contenu.
L’adoption d’un système similaire au Canada soutiendrait quelque 700 emplois en journalisme et récupérer 620 millions de dollars de revenus annuels comme compensation compétitive pour la fourniture de contenu d’actualité, calcule le rapport de News Media Canada.
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Google a qualifié l’idée qu’il doit des centaines de millions de dollars à l’industrie de l’information de «décevante».
Google a également déclaré qu’il fournissait des fonds de secours d’urgence en cas de pandémie aux salles de rédaction et avait annoncé un investissement mondial de 1 milliard de dollars dans des partenariats d’information qui comprendront un soutien aux éditeurs canadiens.
Le gouvernement Trudeau a déclaré qu’il «étudierait» les recommandations du rapport.
«Nous restons déterminés à créer un cadre de réglementation numérique complet et plus juste au Canada», a déclaré le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault à Global News dans un communiqué par courriel.
Guilbeault a déclaré que le gouvernement discutait actuellement d’un «cadre fait au Canada» pour soutenir les éditeurs de nouvelles et qu’il examinait des modèles d’autres juridictions, dont l’Australie.
«Nous sommes également conscients de certaines des initiatives ponctuelles des plateformes numériques pour soutenir le journalisme, mais nous croyons qu’un cadre plus durable égalisera les règles du jeu pour tous», a déclaré Guilbeault.
Le critique du ministère conservateur du Patrimoine, Alain Rayes, n’a pas retourné de demande de commentaire.
Comment les publicités numériques sont vendues
Traditionnellement, les journaux ont compté sur les abonnements et la publicité pour financer leurs activités. Mais les revenus publicitaires des éditeurs canadiens ont culminé en 2012 à 3,5 milliards de dollars et ont chuté de 43% entre 2014 et 2019, selon le rapport de News Media Canada.
Au cours de la même période, les revenus de Google ont plus que doublé et ceux de Facebook ont presque quintuplé, selon l’étude.
Google a fini par dominer les produits et services qui relient les sites Web à l’espace publicitaire à vendre – comme ceux appartenant à des entreprises de médias – avec des entreprises qui cherchent à placer des annonces graphiques, selon le rapport de News Media Canada.
«Il dicte les prix et garde (la) différence pour lui-même grâce à son contrôle des échanges sur les marchés publicitaires des deux côtés de la transaction», lit-on dans le rapport.
Facebook, pour sa part, «contrôle désormais presque exclusivement les médias sociaux», dit Irving.
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La puissance des plateformes web dominantes est comparable à celle d’une bourse qui, au lieu d’avoir plusieurs maisons de courtage en concurrence les unes avec les autres pour connecter acheteurs et vendeurs, peut elle-même imposer des prix élevés aux acheteurs, des prix bas aux vendeurs et percevoir la différence substantielle, dit le rapport.
Les éditeurs de nouvelles dépendent également de plus en plus de Google et de Facebook pour atteindre les lecteurs, mais ne reçoivent pas de paiement pour le partage de leur contenu.
D’un autre côté, vendre des abonnements est devenu plus difficile car «on est poussé vers le bas [web-search] classements parce que votre contenu n’est pas gratuit », dit Irving.
Les régulateurs dans un certain nombre de pays commencent à se pencher sérieusement sur la domination du marché des sociétés Internet comme Facebook et Google. Le 27 octobre, le ministère américain de la Justice a lancé un procès antitrust historique contre Google.
– Avec des fichiers de la journaliste politique de Global News Amanda Connolly
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