La France a-t-elle changé son fusil d’épaule concernant l’avenir de Huawei dans l’Hexagone ? Peut-être. Alors que les antennes 5G de l’équipementier chinois sont censées être progressivement interdites dans les réseaux mobiles, le gouvernement a décidé de prolonger leur durée d’utilisation dans certaines villes, selon nos informations, confirmant celles de L’Informé. Pour rappel, en 2019, la France a adopté une nouvelle loi visant à « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale » concernant « l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ». Rapidement baptisé « loi Huawei » par la presse, ce texte avait un objectif : écarter Huawei des réseaux 5G du pays, sur fond d’inquiétudes d’espionnage ou de coupure volontaire des réseaux par Pékin. L’idée était alors d’organiser le démantèlement progressif des antennes chinoises de SFR et Bouygues Telecom, sachant qu’Orange et Free ne disposent pas, de leur côté, de tels équipements.
Pour ce faire, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et Matignon ont délivré des autorisations limitées à SFR et Bouygues Telecom pour leurs demandes d’installation d’antennes 5G Huawei. Certaines courent jusqu’en 2023, d’autres jusqu’en 2025, et les plus longues jusqu’en 2028. A l’époque, cette solution a été privilégiée afin d’éviter que Bouygues Telecom et SFR se retrouvent à devoir remplacer, immédiatement et à grands frais, tout leur parc d’antennes chinoises, au risque, en outre, de retarder le déploiement de la 5G dans le pays.
La Chine salue la décision française
Mais le gouvernement a, semble-t-il, fait quelque peu machine arrière. Dans certaines villes, les autorisations qui couraient jusqu’en 2028 ont été prolongées de trois ans, jusqu’en 2031, affirment des sources proches du dossier. A La Tribunel’une d’elles explique notamment que cet été, une demande de « release » (mise à jour logicielle) des antennes 5G Huawei pour l’année 2023 – laquelle nécessite également un feu vert de l’Anssi et de Matignon – a été autorisée jusqu’en 2031 pour les antennes du parc « 2028 ».
Interrogés par La TribuneBercy, l’Anssi, SFR, Bouygues Telecom et Huawei se refusent à tout commentaire. Le dossier est sensible, comme tous ceux concernant la sécurité nationale. Il n’empêche que Pékin s’est très officiellement félicité de cette décision. Le 29 juillet dernier, He Lifeng, le ministre chinois des Finances, s’est montré explicite lors d’une conférence de presse commune avec Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, qui effectuait une visite dans l’Empire du Milieu : « La Chine apprécie la décision de la France d’étendre la licence 5G de Huawei dans certaines villes »a-t-il déclaré, comme en témoigne une vidéo de l’agence PA.
Le spectre d’une coupure volontaire des réseaux
Cette décision de la France ne signifie pas forcément que Huawei pourra continuer indéfiniment à vendre ses équipements 5G en France. Il est possible que Paris ait accepté cette prolongation pour ne pas braquer Pékin, et préserver de bonnes relations commerciales dans d’autres domaines stratégiques. Lors de sa conférence de presse avec He Lifeng, Bruno Le Maire a, d’ailleurs, plaidé pour davantage d’investissements chinois en France. Il s’est félicité de certaines avancées dans les domaines de l’aéronautique, de l’agriculture, des cosmétiques ou de la finance. Les deux partis ont notamment convenus d’accélérer « l’obtention des certifications pour le Falcon 8X » de Dassault, et de deux moteurs fabriqués par Safran. Dans l’agroalimentaire, Bercy s’est réjoui de « deux avancées significatives »concernant « un meilleur accès au marché chinois pour les protéines porcines à usage alimentaire, et l’accélération des travaux sur le zonage aviaire ».
Il n’empêche que les inquiétudes de la France concernant les équipements Huawei demeurent bien réelles. Ces infrastructures sont toujours jugées « plus à risque que celles des équipementiers européens [Nokia et Ericsson, Ndlr] »affirme un bon connaisseur du dossier. D’après cette source, avec Huawei, le problème concerne moins la menace d’espionnage que celle d’une coupure volontaire des réseaux sur demande de Pékin, jugée crédible en cas de dégradation de la situation géopolitique. « Si les réseaux sont disponibles, on sait faire du chiffrage par-dessus et assurer la confidentialité des échangesexplique-t-elle. En revanche, si les réseaux ne marchent pas, on ne peut plus rien faire. Et aujourd’hui, couper les télécoms, c’est comme couper l’électricité : on ne peut plus se le permettre. »
L’agacement de Free et d’Orange
Quoi qu’il en soit, cette décision de prolonger les autorisations de SFR et de Bouygues Telecom risque de faire grincer des dents la concurrence. Free est depuis longtemps très remonté de ne pas avoir été autorisé à utiliser Huawei dans l’Hexagone. L’opérateur de Xavier Niel juge que cette situation fausse la concurrence, et a porté l’affaire devant la justice. Mais il s’est fait, jusqu’à présent, débouter de toutes ses demandes. Si Orange ne s’est pas officiellement plaint de la situation, son état-major se montre, en coulisse, particulièrement agacé.
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